Au sujet de l’emploi du terme « animal ».
Bienvenue dans ce premier message du blog!
Merci d’être là :)
Non ne vous appuyez pas là, la peinture est fraîche...
Non ne vous assey..tant pis c’est pas grave.
Bon on y va.
Dans un premier temps je vais adresser la question du problème de l’emploi de ce mot "animal", puis ensuite réfléchir sur la notion de personnalité et de personne pour enfin essayer de voir comment on pourrait parler de ces autres individus sans leur porter préjudice.
Je ne traiterai pas en détail de l'absurdité de cette catégorisation (sous son sens animal non-humain), Jacques Derrida l'a déjà très bien fait dans "L'animal que donc je suis", je renvoie vers cet ouvrage.
Je me baserai principalement sur les problèmes pratiques que pose l'utilisation de ce terme.
- « Les animaux méritent des droits »
- « Ben non, ce ne sont que des animaux ! »
- « Mais l’Homme aussi est un animal ! »
- « Oui, mais c’est pas pareil. »
C’est bon, ça parle à tout le monde ?
La provenance de ce problème est simple.
« L’Homme a conquis la planète »
« L’homme a conquis la planète ».
Voilà voilà.
Il y a une définition biologique de l’animal et une définition idéologique de l’animal.
Malheureusement, nous confondons systématiquement les deux puisque nous avons des homonymes qui ne sont même pas séparés par une majuscule, et que l’on perçoit donc comme une seule et même chose.
Par conséquent chaque emploi de ce terme, qui pourtant à un sens scientifique, se retrouve boursouflé de tumeurs idéologiques qui se nourrissent précisément de ce que nous combattons.
Nous utilisons donc un terme qui va à l’encontre de notre idée pour mettre en valeur notre idée ?
Problème.
Deuxième problème.
« Les Arabes sont des voleurs » « les femmes ne savent pas conduire » « les chiens aboient tout le temps».
Deuxième problème donc : l’essentialisme (je renvoie aux textes de David Olivier sur ce sujet (Qu’est-ce que le spécisme ? : http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article42
Les espèces non-plus n’existent pas http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article81 ).
Est-ce que nous apprécions que l’on dise « les blancs sont prétentieux » ? Un homme, une femme, un homosexuel, un blanc, un noir, une vache, un corbeau ne sont pas des représentants archétypaux d’une catégorie qui n’est rien de plus qu’un enchevêtrement de clichés. Par conséquent, il est problématique d’employer ces termes : ils limitent de beaucoup la capacité de réfléchir sur le cas de ces personnes en tant qu’individus, et ouvrent la porte à toutes les discriminations arbitraires.
Plus je réduis le sens de quelque chose à une expression simpliste, moins je peux y réfléchir de manière précise (la novlangue en fait).
Troisième problème :
Plusieurs travaux scientifiques étudient l’impact de la structure langagière sur la façon de raisonner des individus. On s’aperçoit que, selon le pays de provenance, et donc le langage de provenance, la façon de réfléchir en est impactée.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1876524/
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0010027796007846
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/001002779190033Z
http://www.sciencemag.org/news/2015/03/speaking-second-language-may-change-how-you-see-world
On retrouve également ce phénomène dans l’histoire des sciences. Des problèmes mathématiques ont été traité à peu près simultanément en Chine et en Grèce à l'antiquité pour aboutir à des démonstrations extrêmement différentes et fortement influencées par ce que le langage de chaque mathématicien permettait d'exprimer.
En employant le terme d ’ « animal », nous échouons à installer un cadre de réflexion qui permette de discuter correctement du sujet.
- « Mais alors Monsieur Jesaistout, on arrête de dire animal ? »
- « Ouaip. »
- « Mais on fait comment alors ? »
Bonne question, ce qui m’amène à la deuxième partie : le concept de personnalité et de personne.
En psychologie on utilise fréquement le modèle OCEAN (dit Big Five) qui détermine cinq grandes caractéristiques de la personnalité : L’Ouverture (le gout de la nouveauté), la Conscienciosité (non ça n’existe pas, mais faute de mieux… en gros c’est le fait d’être consciencieux, suivre des règles, etc), l’Extraversion, l’Agréabilité et le Neuroticisme (faculté à être facilement soumis à des sentiments négatifs).
( https://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_des_Big_Five_(psychologie) )
Eh bien cette matrice appliquée de manière plus ou moins identique aux individus des autres espèces donne de très bons éclaircissements quant aux amitiés et aux amours des uns et des autres. Chez les singes capucins, les chercheurs se sont aperçus que dans les relations amicales des sujets étudiés, on retrouvait systématiquement plusieurs traits de personnalité en commun pouvant expliquer ces liens entre eux. ( http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0003347215001529 )
Même observation chez les diamants mandarins sur le choix des partenaires amoureux. Si deux oiseaux sont forcés de se mettre en couple, et qu'il ne s'agit donc pas d'un choix personnel, les relations sexuelles seront plus rares, le soin des petits plus aléatoire, et les infidélités plus fréquentes. (
http://www.slate.fr/story/106853/oiseaux-revelent-importance-amour-evolution )
Des traits de personnalité ressortent également au niveau des insectes (fourmis, cafards, etc).
De plus, les différences intellectuelles entre membres d’un même groupe sont énormes, ce qui rend les créations archétypales dont nous parlions encore plus inopérantes. Par exemple tous les chimpanzés ne réussissent pas cette ânerie de test du miroir (j’y reviens pour lui casser les dents d’ici quelques lignes à ce test).
Enfin, de nombreuses études sur les réseaux sociaux (ben oui, ça s'appelle comme ça) chez les autres espèces montrent bien que les membres des groupes ne sont pas interchangeables et que leur disparition modifie fondamentalement les relations interindividuelles. Donc 1 + 1 =/= 1
- « Wesh gros, mais c’est pas QUE ça d’être une personne ? »
- « Non ? »
- « J’sais pas en fait ! »
- « Bon ben alors ? »
Mais très bien, je vais donc répondre à cette notion de personne (mais je le ferai largement moins bien qu’Yves Christen dans son livre « L’animal est-il une personne ? » que je recommande chaudement).
Internet s’il vous plait, définition de personne :
http://www.cnrtl.fr/definition/personne
PERSONNE : I. − Individu de l'espèce humaine, sans distinction de sexe.
A. −
1. Cet individu défini par la conscience qu'il a d'exister, comme être biologique, moral et social
♦ La personne humaine. [Expr. tautologique qui insiste sur l'appartenance au genre humain] Individu de l'espèce humaine qui se distingue du simple individu biologique et a droit à la considération parce que doué d'une conscience morale.
a) PHILOS., MOR., PSYCHOL.
α) HIST. DE LA PHILOS., SCOLAST. [Chez Boèce] "Individu doué de raison en tant que constituant une substance"
β) Être humain considéré comme un être conscient de son existence, possédant la continuité de la vie psychique et capable de distinguer le bien du mal
b) Individu défini par ses droits et ses devoirs
C’est moi, ou il y a des définitions juste complètement barrées (et ils le reconnaissent eux-mêmes avec la tautologie sur « la personne humaine ») ?
« Individu défini par ses droits et ses devoirs » : sauf que dans une société de droit, sont considérés comme des personnes des individus qui ont des droits et des dev…attends mais ça se mord pas la queue votre truc là ?. Bon je ne suis pas juriste, il y a peut-être une très bonne explication derrière ça.
« Possédant la continuité de la vie psychique et capable de distinguer le bien du mal ».
Donc sont exclus du statut de personne par ordre d’apparition : Les gens atteints de psychopathie, les gens souffrant de déficit mentaux type Alzheimer, les personnes dans le comas, etc etc.
Merci d’être venus, la sortie c’est par là.
Finalement, on pourrait prendre la première définition « Cet individu défini par la conscience qu’il a d’exister, comme être biologique, moral et social ».
Cool, ça m’arrange.
« Conscience qu’il a d’exister »
Déclaration de Cambridge 2012 : tous les vertébrés et certains invertébrés possèdent les substrats neuronaux permettant d’accéder à la conscience. Mince. Et que l’on ne vienne pas me sortir le coup du miroir (oui j’avais dit qu’on y reviendrait). Ce test de Gallup (dit "test du miroir") consiste à anesthésier un individu, apposer une marque sur son corps à un endroit invisible pour lui, puis le confronter à un miroir afin de voir s’il se reconnait et tente d’enlever la tâche. Oui, enfin... c’est ok sur des membres d'espèces pour lesquelles la vue est le sens principal (donc les oiseaux et nous en fait, c’est pas pour rien que les gros succès de ce test sont : les humains, les pies et les pigeons) mais pour ceux qui se réfèrent principalement à d’autres sens (particulièrement l’odorat pour une écrasante majorité des mammifères) n’auraient ainsi aucune conscience ? Malgré le cerveau qui est câblé pour ? Pour ce qui concerne les éléphants par exemple, leur succès à ce test est très mitigé, certains des éléphants testés ont largement échoué à observer cette marque dans le miroir, un peu comme les chimpanzés. Mais des protocoles autres que le test du miroir ont prouvé que l’on pouvait démontrer plusieurs types de conscience de soi (notamment des travaux de Marc Bekoff sur des chien, reproduit en laboratoire récemment avec les mêmes résultats positifs) qui sont très certainement largement répandus et correspondent bien aux travaux qui ont mené à la Déclaration de Cambridge.
Absence de preuve n’est pas preuve d’absence.
« être biologique »
Hein ? Bon.
« Moral »
De nombreux travaux d'éthologie démontrent que suivre des règles morales dans les groupes sociaux favorise la cohésion et l'efficacité du groupe. Le primatologue Frans de Waal a notamment beaucoup étudié le sujet avec les singes capucins. La morale, d’après lui, découle
1 : de l’empathie (nécessaire à la compréhension des sentiments des autres afin de fonctionner de manière cohérente dans une société donnée, donc très répandu dans le règne animal)
2 : de la justice (réciprocité); il suffit de s’intéresser un tant soit peu au fonctionnement des règles dans le jeu, chez les humains ou les autres espèces, et l’on constatera que la notion de « règles », et donc de choses qui sont justes ou non, et donc proche de la notion du bien et du mal, est quelque chose encore une fois de TRES répandu.
Bon 1 + 2 = Rentre chez toi la morale comme spécificité humaine.
« Social »
Alors, si je suis un ermite je ne suis plus une personne ? Quid des pieuvres qui ont des capacités intellectuelles remarquables et qui ne sont pas des espèces sociales ? Qu’appelle-t-on une espèce sociale ? Car les guépards vivent souvent seuls. Ou en couple. Ou des fois en petites bandes. En fait, ça dépend. Eh merde.
Bon, on voit où je veux en venir, et Yves Christen parvient au même point avec un cheminement percutant dans son ouvrage sur le sujet : Les animaux sont des personnes, point barre.
- « Mais alors j’dis quoi moi bon sang ?! »
- « Sécurité ? »
Résumons.
Le terme d’animal représente plusieurs grands problèmes : confusion de sens sur deux homonymes + une très forte imprégnation idéologique + imposition un cadre de réflexion étroit qui nuit à une pensée rationnelle du sujet + créations d'archétypes idiots.
Mais alors comment faire pour arrêter de nourrir ce mot et le laisser s’assécher comme un pruneau jusqu’à ce qu’il retrouve sa place de vocable de biologie et rien de plus ?
Eh bien, il faut le supprimer de notre vocabulaire, purement et simplement.
Le terme « Nègre » a subi un ostracisme important dans nos sociétés et pour les mêmes raisons : il génère un préjudice sous la forme d’une exclusion/oppression envers la victime, et il permet d’empêcher de raisonner correctement.
Nous devrions systématiquement parler de « personnes » lorsque nous mentionnons les autres animaux. Même si cela doit sonner étrange au début, il faut bien commencer à un moment pour que ça entre dans les mœurs. Aucun mot ne devrait remplacer ce terme d’animal, ce terme est unifiant et donc réducteur. Basta, dégage, bouh caca.
Dans un premier temps, faute de mieux, je pourrais proposer la conservation des termes de biologie et diviser en trois grandes catégories pour faciliter l’expression.
Catégorie de premier niveau : la globalité
« Les personnes des autres espèces »;« Ceux qui sont des poissons »; « Les gens qui font partie de la famille des oiseaux. »
Catégorie de deuxième niveau : intermédiaire
« Ceux qui sont des chiens »;« les personnes qui sont des labres nettoyeurs »... Pour des catégories plus vastes, on peut utiliser des termes comme « les personnes qui sont des corvidés ». Même si parfois ce sont des termes complexes comme « strigidés » pour les rapaces nocturnes. Au bout d'un moment, le langage commun s’en emparera et transformera ça en langage plus « banal ». Par exemple personne ne dit « Oh ! Un Corvus Frugilegus ! » (à part moi j’veux dire), mais tout le monde va dire « Oh ! Un corbeau ! ».
Catégorie de troisième niveau : individuel
« Boby, le chien qui vit avec moi mange les rideaux. » « Igor et Grichka, les deux mérous qui vivent au bord de la côte… »
En fait, on devrait simplement réfléchir à ce que l’on ferait s’ils étaient humains et appliquer ce raisonnement.
Pour résumer :
1) le mot animal : à la poubelle
2) les animaux sont des personnes.
Je pense qu’il faudrait intégrer cela progressivement dans le discours, pas forcément tout le temps, pas de façon qui pourrait être mal accueillie au début, mais c’est un but à atteindre si l’on veut permettre de créer le cadre mental de réflexion adapté à notre message.
Il y a surement d’autres façons de présenter la chose et j’espère que ce sujet continuera d’être creusé :)
Bisous à tous
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